Nouveau dérapage de Jupiler qui surfe sur la vague du confinement

« Reporte ton anniversaire avec Jupiler, et reçois 10 bières gratuites pour fêter ça ! » nous clame ce 31 mars la marque au taureau…

Après avoir lancé une série d’actions sur les réseaux sociaux autour du confinement (apéros en ligne, soutien aux cafetiers en achetant des bières à l’avance – tout comme Alken-Maes – ou encore le soutien aux soignants avec des bières 0,0%), Jupiler franchit un cap supplémentaire en proposant 10 bières gratuites aux personnes nées en mars et avril à boire dans un café partenaire après le confinement.

Chaque année, la surconsommation d’alcool tue 9.500 personnes en Belgique. Par son énième action, Jupiler contribuerait ainsi à augmenter la mortalité dans notre pays, déjà particulièrement renforcée par la crise du Coronavirus ! En effet, sous couvert de vouloir soutenir l’Horeca en ces temps troublés, « Inbev Belgium souhaite, de cette manière, offrir un soutien supplémentaire et fera don d’un maximum de 3,6 millions de bières gratuites à nos cafés/bars et restaurants belges », AB Inbev en profite pour fidéliser sa clientèle et renforcer nos comportements de surconsommation d’alcool.

La crise sanitaire que nous vivons n’empêche visiblement pas certains groupes brassicoles de profiter de l’occasion pour faire parler d’eux gratuitement dans les médias, nombreux à avoir relayé l’action dans leur fil d’info. Conscients que nous contribuons à cette visibilité, nous tenons toutefois à éveiller l’esprit critique de nos lecteurs quant à ces pratiques douteuses.

La convention qui règlemente la publicité pour l’alcool en Belgique (et rédigée par les alcooliers eux-mêmes, dont ABInbev ! Sic…) prétend pourtant vouloir protéger le consommateur et les mineurs par une série de dispositions comme :

Article 2.1 de la convention : la publicité ne peut pas cibler les mineurs d’âge ni par son contenu ni par son mode de communication ;

Action lancée le 31 mars à 18h. Trois jours plus tard, plus de 7900 commentaires et près de 750 partages sur les publications initiales FR/NL.

Le tutoiement utilisé dans cette communication ainsi que la publication de cette action sur Facebook et Instagram laissent à croire que les jeunes sont particulièrement visés ici.

Article 3.1 de la convention : « la publicité ne peut pas inciter ou encourager une consommation irréfléchie, exagérée ou illégale »

10 bières gratuites, même à partager, est-ce vraiment raisonnable alors que le Conseil supérieur de la santé rappelle qu’il ne faut pas dépasser 10 verres par… semaine ?

Article 3.3 de la convention : « la publicité ne peut pas associer la consommation d’alcool à la réussite sociale ou sexuelle »

Jupiler nous offre « De quoi fêter ça avec tes amis, quand tu pourras à nouveau les serrer dans tes bras et trinquer en vrai avec eux. ». Ne parle-t-on pas de réussite sociale ici ?

Source : « Jupiler birthday »

Article 3.5 de la convention : « la publicité́ ne peut pas suggérer que des boissons contenant de l’alcool sont la condition nécessaire pour rendre le quotidien plus heureux ou pour créer une ambiance festive »

Suggérer que fêter son anniversaire en confinement « ça craint » et que le reporter à une date ultérieure avec ses amis et 10 bières gratuites à la clé nous semblent clairement faire référence au fait que l’alcool est indissociable à la fête et au lien social…

Et quid de la responsabilité sociétale d’ABInbev ? Peut-on parler d’une action de responsabilité sociale comme la marque s’en défend sur son site ? Une entreprise gigantesque comme ABInbev, premier brasseur mondial, qui, par un très ingénieux montage fiscal, ne paye quasi aucun impôt en Belgique, soutient-elle réellement le secteur par une telle initiative ?

« Pour les principales entités d’ABInBev en Belgique, le taux d’imposition effectif est relativement constant sur la période s’écoulant de 2010 à 2015 et est, par la même occasion, largement inférieur au taux d’imposition nominal belge (33,99%) ainsi qu’au taux d’imposition effectif calculé sur base consolidée. Effectivement, le taux effectif d’imposition ne dépasse qu’exceptionnellement les 1% et se voit donc être, généralement, plutôt proche du 0%. »[1]

Payer ses impôts sur les milliards d’euros de chiffre d’affaire et centaines de millions d’euros de bénéfices annuels contribuerait bien plus à soutenir l’économie belge que cette action scandaleuse et contraire aux principes de santé publique.

Et si on soutenait l’Horeca autrement ? En planifiant une future réservation dans un restaurant local ? En soutenant dès à présent les restaurants qui font des plats à emporter ou à livrer ? En envoyant nos encouragements et nos bons points à nos restaurateurs préférés sur les plates-formes en ligne et les réseaux sociaux ? Et quitte à parler bière, privilégions plutôt les microbrasseries ou les entreprises locales qui favorisent les produits de qualité plutôt que la quantité, car c’est celle-ci qui est nuisible pour la santé…

Nous prions donc Jupiler de ne pas  impacter davantage la santé publique de notre pays alors que celui-ci, tout comme le monde entier, subit de plein fouet une crise sanitaire majeure !

Pour le Groupe Porteur « Jeunes, alcool & Société »,

Martin de Duve

(martin.deduve@uclouvain.be – 0478 20 63 77)

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[1] DARDENNE Aline, « Les multinationales paient-elles des impôts ? Analyse des cas d’Anheuser-Busch InBev, d’ArcelorMittal et du groupe Delhaize », UCLouvain, 2017, mémoire publié disponible ici.